05.11.2016
La Clinique de Valère accueille régulièrement des médecins qui ont l’opportunité d’en dire plus sur leur spécialité et leur passion à l’occasion de conférences publiques et médicales. Les participants peuvent ainsi en savoir davantage sur un sujet qui les concerne et peuvent profiter de poser leurs questions à un expert.
Lors d'une conférence publique qui s'est déroulée à la Clinique de Valère, Dr. Med. Jordi Vidal Fortuny a répondu aux quelques questions sur la thématique de la thyroïde que nous lui avons posées en marge de la conférence :
Qu'est-ce que la thyroïde exactement et à quoi sert-elle ?
La glande thyroïde est un organe endocrine, située dans la partie basse du cou en contact étroit avec la trachée. Elle est composée de deux lobes, un de chaque côté de la trachée, reliés par un pont de tissu thyroïdien nommé isthme. Occasionnellement, l’isthme présente un reliquat embryonnaire d’une longueur variable qui remonte le long de la trachée, appelé lobe pyramidal de Lalouette.
La thyroïde sécrète dans le sang deux hormones : triiodotyronine et trétaiodotyronine (T3 et T4). Une quantité suffisante d’iode est indispensable à la fabrication de ces hormones. Leur fonction est importante et multiple, et de façon générale, augmente l’activité métabolique de presque tous les tissus du corps. Plus spécifiquement, elles régulent en partie la fréquence cardiaque, le flux sanguin et la tension artérielle, la croissance, le développement cérébral, le transit digestif, le tonus musculaire, le système nerveux central, etc. La glande thyroïde est sous contrôle direct d’une glande endocrine cérébrale, l’hypophyse, par l’intermédiaire de la TSH (ThyréoStimuline-Hypophysaire).
Quel rôle joue la thyroïde dans la vie d'un être humain et dans celle d'un diabétique ?
On peut bien imaginer que lorsqu’un patient présente une hyperthyroïdie (excès de fonction de la glande), tous ces effets sont intensifiés ; le patient âgé va présenter surtout des problèmes cardiaques, tandis que le jeune, une surexcitation, déficit de concentration et bien sûr la fatigue (car tout va plus vite).
Lorsque la thyroïde ne fonctionne plus ou après l’ablation chirurgicale de l’ensemble de la thyroïde, les hormones qu’elle secrète peuvent être facilement remplacées par des hormones thyroïdiennes de synthèse.
Malgré l’effet des hormones thyroïdiennes sur le métabolisme des nutriments, la pathologie thyroïdienne n’entraine pas un risque accru pour le diabète. Par contre, le phénomène immunitaire relié à certains types de diabète peut, quant à lui, avoir un effet potentialisateur pour la pathologie thyroïdienne. On associe donc au diabétique jusqu'à un 30% de pathologie thyroïdienne d’origine immunitaire.
Chirurgie
L’indication chirurgicale relève de plusieurs facteurs :
Différentes procédures chirurgicales sont envisageables :
Si une ablation complète de la thyroïde est réalisée, thyroïdectomie totale ou lobectomie de totalisation, une substitution hormonale à vie est nécessaire. Habituellement, un remplacement hormonal n’est pas nécessaire après une ablation unilatérale de la thyroïde, un lobe étant généralement suffisant pour garantir une fonction thyroïdienne normale.
Pièges et complications
Deux seules complications peuvent entrainer un risque vital : l’hématome suffocant et la lésion bilatérale du nerf récurrent.
Complications générales
Hémorragie : comme dans toute chirurgie, un des vaisseaux sectionnés peut saigner en post-opératoire, pouvant conduire à un hématome suffocant qui peut mettre en danger la respiration du malade par compression des voies aériennes. Cette situation nécessite une chirurgie urgente pour évacuation de l’hématome et réalisation d’hémostase. Cette complication est rare et n’arrive que dans environ 0.5% des cas. Quand cela arrive, l’hémorragie survient le plus fréquemment durant les 6 premières heures, puis 12 heures et enfin, certains cas ont connu des saignements à 24 et 48 heures.
L’infection : reste une complication rare, les tissus du cou étant bien vascularisés et la thyroïdectomie étant une chirurgie propre. Son traitement nécessite l’administration d’antibiotiques, et occasionnellement un drainage.
Sérome : la formation d’un sérome post-opératoire est une situation fréquente ; du liquide inflammatoire vient se déposer entre les différentes couches de tissu disséqué. Habituellement, la résorption se fait spontanément dans les deux premières semaines après l’intervention. Il se draine rarement à la peau à travers la cicatrice. Pour certains, le sérome postopératoire est une indication à ponction drainage percutanée.
Complications spécifiques :
Nerf récurrent : il s’agit du nerf de la voix. Il en existe un de chaque côté. Son trajet passe derrière la thyroïde. Sa lésion entraine un déficit de mobilisation de la corde vocale. Plus la lésion est proche du larynx, plus la corde vocale a une tendance à rester fermée (s’il y a une lésion bilatérale, l’air ne peut pas passer à travers la trachée). Sa lésion comporte des modifications de la voix qui peuvent récupérer en fonction du type de lésion.
Deux lésions :
Malgré le monitorage de ce nerf, et malgré une chirurgie minutieuse, la lésion du nerf récurrent peut survenir. La plus grande partie des lésions sont transitoires, récupérant progressivement en quelques semaines ou mois. Au-delà d’une année, il n’y a plus de récupération. La lésion définitive survient dans 1-3% des cas.
Branche externe du nerf laryngé supérieure : il s’agit d’un nerf passant à proximité des vaisseaux de la partie proximale de la thyroïde. Normalement, il n’est pas cherché de façon active, hormis certaines circonstances : chanteurs, personnes parlant en public, enseignants, etc. Sa lésion entraine un manque de tension des cordes vocales et donc une difficulté à produire des sons aigus ; il s’agit du « nerf des sopranos ».
Des troubles transitoires de la voix surviennent dans 20-30% des cas durant les 3 premiers mois après l’opération, même dans l’absence de lésion nerveuse.
Glandes parathyroïdes : Il s’agit de 4 petites glandes situées autour de la glande thyroïde. Leur taille est très variable, mais mesure normalement entre 3-5mm. À elles seules, elles régulent le métabolisme du calcium. Leur vascularisation est très précaire et provient en grande partie de l’artère thyroïdienne inférieure.
Leur position est, elle aussi, très variable et plus ou moins éloignée de la thyroïde. La chirurgie doit être très minutieuse pour préserver les parathyroïdes ainsi que leur vascularisation. Si une glande parathyroïdienne est retrouvée dans la pièce de résection, ou si le chirurgien ne parvient pas à préserver sa vascularisation en raison de la proximité avec la thyroïde, cette parathyroïde sera réimplantée au niveau du muscle sterno-cléido-mastoïdien avec de bons résultats fonctionnels après quelques semaines.
La lésion des 4 parathyroïdes entraine une baisse du taux de calcium dans le sang (hypocalcémie), qui, à long terme, peut entrainer des complications multiples ; les premiers signes étant des paresthésies des doigts, ainsi qu’une spasmophilie et une tétanie. La lésion définitive est de l’ordre de 3%, la lésion transitoire est, quant à elle, plus fréquente et une hypocalcémie passagère, symptomatique ou non, est vue dans 20-40% des cas.
Lors d’hypocalcémie après thyroïdectomie, une substitution en calcium et vitamine D sera donnée et adaptée en fonction des résultats des prises de sang. La lésion définitive des glandes parathyroïdes nécessite un suivi plus rapproché.
Comment est-ce que la technologie a-t-elle évoluée à ce niveau ?
L’avancée technologique a permis de mieux contrôler les complications inhérentes à la chirurgie et apporter un certain confort au chirurgien.
L’hémostase est devenu un point crucial dans la chirurgie, car on dispose maintenant non seulement d’hémostatiques synthétiques locaux qui vont être laissés en place et qui vont se réabsorber spontanément (tabotamp, tachosil), mais aussi des instruments plus performants : bistouri monopolaire (qui continue à avoir le problème de diffusion thermique), les pinces bipolaires, et des instruments qui font la section et hémostase en même temps que le ligasure (basé sur le principe de la thermofusion tissulaire) et l’harmonic (qui fait des vibrations ultrasoniques). Les vieilles méthodes, ligatures et clips, restent toujours vigents.
Lésion nerveuse : Le nerf récurrent est actuellement monitoré par un système : le NIM (Nerve Integrity Monitoring). Il s’agit d’un circuit électrique fermé, dont le tube endotrachéal en fait partie intégrante. Un stimulateur permet de stimuler le nerf récurrent et de transformer un signal électrique en un signal sonore. Ce système permet aussi un monitorage en continu, qui permet de savoir quand le nerf est mis sous tension de façon permanente. S’il est bien utilisé, il sert aussi à faire un mapping du nerf. Malgré l’énorme avancée technique de ce système, il n’a pas réussi à diminuer le taux de lésions unilatérales du nerf. Par contre, la lésion bilatérale a presque disparu. Ce monitorage est aussi applicable pour la branche externe du nerf laryngé supérieur.
Lésion parathyroïdienne : L’introduction d’une angiographie préopératoire au vert d’indocyanine, couplée à une image infrarouge, permet d’évaluer la perfusion des glandes parathyroïdiennes identifiées lors du geste opératoire. Cette donnée permet des gestes chirurgicaux adaptatifs lors de la dissection des parathyroïdes ou limitant l’étendu de l’exérèse thyroïdienne pour préserver la glande (parathyroïde) et sa vascularisation. Lors d’une récente étude, la réalisation de ce geste a été évaluée avec une efficacité de 100%, contribuant à la modification de la technique opératoire.
Spécialiste en chirurgie, membre FMH